Ce projet de loi a été accéléré par les évènements de janvier. Le gouvernement en a discuté en conseil des ministres le 19 mars. Il fait le choix d’autoriser des mesures, jusqu’ici, illégales utilisées par les services de renseignement. Plutôt que de se donner les moyens d’interdire ses pratiques illégales, il recule en les autorisant officiellement « sous contrôle », mais sous quel contrôle ? Il donne au renseignement des pouvoirs qui étaient détenus uniquement par le judiciaire.
Le champ de l’action des services secrets est élargi à 2 nouvelles missions : les intérêts essentiels de la politique étrangère et la prévention de toutes formes d’ingérence étrangère (c’était dans le projet initial, l’exécution des engagements internationaux de la France), la prévention des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale (c’était auparavant la prévention des violences collectives de nature à porter atteinte à la paix publique). La première notion amènera-t-elle à surveiller tous les frontaliers, les étudiants à l’étranger, ceux qui se battent contre le TAFTA … ? Pour la deuxième, on pourrait y retrouver la question du terrorisme, mais aussi les hooligans, les ZADistes de Sivens ou de Notre Dame des Landes.
Il y aura de fait beaucoup plus de gens surveillés. Avant ce projet, il fallait avoir un lien personnel et direct avec une infraction présumée pour être sur écoute administrative. Maintenant pour être écoutées : les personnes appartenant à l’entourage de la personne visée, susceptibles de jouer un rôle d’intermédiaire volontaire ou non … L’autorisation concerne la ou les personnes, mais aussi le ou les lieux ou véhicules concernés. Faut-il mettre sur écoute toute la commune de Tarnac ?
De plus : pour les besoins de la prévention du terrorisme, le recueil des informations et documents relatifs à des personnes préalablement identifiées … peut-être opéré en temps réels sur les réseaux des opérateurs. Il s’agit de légaliser une écoute de masse, de capter, d’enregistrer … un maximum d’informations dans des lieux privés qui pourront être gardées un mois (au lieu de 10 jours) dans le cas d’écoute, un an dans le cadre de données recueillis par les techniques de renseignements, 5 ans pour les données de connexion (les données de conversation sur Skype d’un particulier sans qu’elles aient été utilisées !). Et qui contrôlera ces fichiers informatiques ainsi créés, personne ne le sait comme le dénonce la CNIL.
Mais qui décide de ces écoutes ? Le Premier Ministre, ou les 6 personnes qu’il désigne, continue à délivrer les autorisations. Il augmente son poids en nommant 5 des membres de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNTCR), les 4 autres sont nommés par les présidents de l’assemblée Nationale et du Sénat. Il peut aussi passer outre à l’avis de cette commission. L’exécutif obtient ainsi la main mise sur tous les services de renseignement sans aucun contrôle judiciaire.
Le texte prévoit la possibilité d’un recours devant le Conseil d’Etat. Si la CNTCR relève une irrégularité, il suffit d’un membre pour le signaler au 1er Ministre, il en faut 5 pour protester contre cette atteinte au respect de la vie privé.
Quant aux citoyens, si jamais, ils se rendent compte que les Dupond (il n’y aura qu’eux pour ne pas être discrets) les ont espionnés illégalement, ou s’ils se sentent espionné à tort, ils doivent d’abord saisir la CNCTR qui pourra saisir le Conseil d’Etat. Dans le projet initial, un citoyen pouvait saisir directement une formation spécialisée du Conseil d’Etat. C’était une nouveauté, mêmes les règles étaient adaptées pour entrer dans le cadre du secret de la défense nationale, c’est-à-dire : huis clos, le plaignant et les services sont entendus séparément, la victime ne pourra pas savoir par qui ou pourquoi elle a été espionnée, mais elle pourrait obtenir une indemnisation en cas d’irrégularité prouvée.
Lors d’une conférence de presse commune, plusieurs organisations (dont le Syndicat de la magistrature, la Ligue des Droits de l’Homme, Amnesty International, Reporters sans Frontières, La Quadrature du Net…) ont répété leurs craintes sur l’instauration d’une surveillance de masse sans contrôle indépendant. « Un projet de loi dans une logique purement sécuritaire et essentiellement liberticide », a résumé le président de la Ligue des droits de l’Homme, Pierre Tartakowski. Ce projet de loi, mené à un rythme d’enfer, empêche la société civile et les parlementaires de réagir.
Pour la FSU du Jura, c’est une nouvelle fois la logique de surenchère sécuritaire aux dépens de nos droits, de la démocratie qui l’emporte. A l’inverse, il faut un projet de loi qui assume le contrôle des services de renseignement par le judiciaire, seul garant actuellement de nos droits.
Deux contributions au débat parues dans le monde du 14 avril 2015 :
Combattons politiquement la numérisation de nos vies par Eric Sadin
Un projet de loi qui porte gravement atteinte aux libertés individuelles par Nils Muiznieks, Michel forst et Ben Emmerson